Dans 25 ans, l’assurance de base sera-t-elle toujours en mesure de garantir l’accès à un système de santé de haute qualité pour chacun ?
- Timothée Tournier
- il y a 2 jours
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Dernière mise à jour : il y a 1 jour

Cette année, la prime moyenne s’élève à environ 465,30 francs par mois pour un adulte.
Mais si la hausse actuelle se poursuit au même rythme qu’en 2025, la prime moyenne atteindrait 1’300 francs par mois en 2050.
Évidemment, nous n’en sommes pas encore là.Selon l’OFSP, l’augmentation moyenne s’élève à 4,4 %, mais certaines projections , notamment celles de Deloitte (2025) estiment qu’elle pourrait en réalité avoisiner 7 % cette année.
En cause, l’évolution des coûts de la santé à la charge de l’Assurance Obligatoire des Soins (AOS). Les primes d’assurance reflètent directement l’évolution des coûts de la santé :
ils sont financés pour les deux tiers par les caisses-maladie, c’est-à-dire par les assurés.
L’ampleur de de la hausse des primes, c’est la prise du pouls de la soutenabilité du système actuel. Les hausses continuent à être acceptées, non sans réticences, mais elles le sont. La question est de savoir si cela sera toujours le cas dans le futur. L’AOS pourra-t-elle continuer à offrir des soins de qualité à tous les citoyens, sans distinction d’âge, de sexe, à un coût supportable pour la société dans les prochaines années ?
La Suisse n’est pas isolée face à cette question. Elle est centrale pour tous les pays développés, qui ont construit des systèmes de santé performants et de haute qualité, mais de plus en plus onéreux. Les dépenses de santé représentent une part croissante du PIB, en d’autres termes les dépenses croissent plus vite que les recettes.

Plusieurs facteurs expliquent cette dynamique. Le vieillissement démographique est le plus souvent invoqué, car le plus visible : avec l'âge, les besoins médicaux augmentent mécaniquement. Pourtant, l'Administration fédérale des finances (AFF) estime sa contribution à seulement 15% de l'augmentation des coûts entre 1960 et 2022.
L’augmentation continue des coûts de la santé
Les vrais moteurs de la croissance sont ailleurs, plus diffus et difficiles à quantifier : la progression du revenu (qui accroît la demande de soins), l'augmentation du recours aux prestations, et surtout le progrès médical. Chaque innovation thérapeutique – des immunothérapies contre le cancer aux prothèses de dernière génération – coûte plus cher que les traitements qu'elle remplace.
La décomposition de la croissance des dépenses entre 2012 et 2017 l'illustre parfaitement : 43,5% proviennent de l'augmentation des dépenses par patient, contre seulement 29,8% de la croissance démographique et 14,5% du vieillissement. Autrement dit : ce n'est pas qu'il y a plus de malades, mais que chaque patient coûte plus cher à traiter. La prévalence des maladies reste relativement stable ; c'est l'intensité et le coût des soins qui explosent.

Conjugués, ces facteurs vont sans aucun doute continuer à faire augmenter les dépenses de santé dans les pays développés. La Suisse se place dans le très haut du classement avec 11.8% de son PIB consacré aux dépenses de santé. Mais elle n’est pas une exception dans les pays de l’OCDE qui consacrent tous une part croissante aux dépenses de santé, à un niveau peu ou prou similaire à celui de la Suisse.

Les scénarios d’évolution sont aussi cohérents avec les autres pays de l’OCDE. Les dépenses de santé devraient atteindre 15% du PIB d’ici 2050 selon le scénario de référence de l’AFF.
Le financement de l’augmentation des coûts
Les coûts seront donc indéniablement plus lourds à l’avenir, et la question du financement sera cruciale. Les réponses des économies européennes sont variées : lorsque l’Allemagne ou l’Autriche préfère maintenir l’équilibre en augmentant les recettes, la France par exemple accumule massivement de la dette pour maintenir un système structurellement déficitaire.
La Suisse maintient un système assez unique et largement équilibré, qui repose sur un mélange de financement par la fiscalité, les ménages et les cotisations salariales.
Pour maintenir cet équilibre – légèrement excédentaire – le choix Suisse porte sur l’augmentation directe des recettes finançant les dépenses de santé (97 milliards de francs, pour la dernière année). Ces recettes sont de 4 types :
- Les primes d’assurance maladie
- Les recettes fiscales
- Les prélèvements des assurances sociales (salaires principalement)
- Les assurances privées
- Les versements directs Out Of the Pocket (OOP)
Dans ces recettes on en distingue deux types :
- Les financements indexés sur le niveau de revenu des individus (fiscalité, assurances sociales cotisées en part des salaires)
- Les financements non-indexés comme les primes de l’assurance de base ou les coûts OOP.

Le financement qui croit le plus vite est sans conteste celui de l’AOS, ce qui signifie que le système se finance par des recettes majoritairement non indexées. Prélevée par tête, la prime est proportionnellement plus lourde pour les ménages à plus faible revenu.
L’AOS, avec l’assurance privée et la part des ménages en versement directe, c’est environ 65% du financement du système de santé. Ce financement mixte assure une forme de résilience : ne dépendant pas uniquement de cotisation indexée sur les salaires le financement n’est pas directement sensible aux variations de marché de l’emploi ou du contexte économique.
Plus que résilient le système est aujourd’hui excédentaire : les caisses-maladies ont l’obligation de maintenir un niveau de réserve suffisant. Elles affichent en moyenne une solvabilité de 147%, renforçant la robustesse du système.
La soutenabilité des primes forfaitaires
Toutefois l’augmentation de la part forfaitaire a pour effet d’augmenter la pression exercée sur les ménages les moins aisées et de remettre en cause la dimension sociale du financement, qui est un des piliers du système. Les impayés de primes d’assurance maladie augmentent ainsi structurellement, poussant certains foyers dans le surendettement.
Afin de contrer ce phénomène, le législateur a mis en place un mécanisme permettant de contourner partiellement le problème : les réductions de prime. Financés conjointement par la confédération et les cantons, elles permettent un rééquilibre social en finançant une part des primes des ménages à revenus les plus faibles. C’est donc indirectement l’impôt qui vient refinancer le système. Ainsi les subsides qui ont représenté 5,9 milliards de francs en 2023, augmentent d’année en année.
Historiquement, la répartition des coûts entre l’état et l’AOS était effectuée selon que les soins sont effectués en ambulatoire ou en stationnaire. L’ambulatoire est 100% à la charge de l’AOS mais le stationnaire partagé avec 55% à la charge de l’état. Or, avec le virage ambulatoire de plus en plus de soins sont effectués sans nuitées et donc à 100% à la charge de l’AOS.
Il sera mis un terme à cette situation en 2028 avec la modification de la LAMal par le financement uniforme des prestations. L’état participera désormais à environ 1/3 des coûts quel que soit leur nature. Cela réduira la part des primes forfaitaires dans le financement et donc l’augmentation des primes pour les assurés.
Malgré cela, des problèmes non-résolus continuent à alourdir la facture à la charge de l’AOS sans que de réelles solutions ne soient proposées :
- L’élargissement continu du catalogue de prestations prises en charge par l’AOS (médicaments, thérapies, etc)
- Le vieillissement de la population, et le coût représenté par les soins de longue durée (SLD) qui sont assumés à plus de 50% par l’AOS.
L’AFF dans son scénario de référence prévoit une évolution de la part de l’AOS dans le PIB 3,6 % à 4,9 % du PIB en 2050. En clair une évolution plus rapide que le revenu disponible.
L’élargissement des prestations à la charge de l’AOS
L’élargissement du catalogue de prestations et de médicaments pris en charge va dans la direction d’une augmentation encore plus rapide des coûts. C’est une alerte majeure relayée par Santé Suisse (politique de la santé : un état des lieux), qui rappelle que les prestations remboursées doivent respecter les critères de l’efficacité, l’adéquation et l’économicité (EAE), ce qui est d’ailleurs précisé dans la loi sur l’assurance maladie (LAMal).
Pour l’organisation faîtière des caisses maladie, la solution passerait par le gel d’extension du catalogue des prestations de l’AOS. Ce qui signifie indirectement un transfert d’une partie des coûts vers les assurances complémentaires selon la loi sur le contrat d’assurance (LCA) lorsque les couts ne sont pas pris en charge par l’AOS.
Si la direction actuelle est clairement du côté de l’élargissement du catalogue, il faudra y associer des mécanismes de contrôle et de pilotage de plus en plus efficients pour contenir la hausse des coûts qui en découlera.
Perspectives
L’innovation dans le financement du système de santé sera aussi nécessaire, non seulement pour limiter les coûts à l’heure actuelle mais pour anticiper les nouvelles tendances, comme la prise en charge de la fin de vie et les coûts des EMS. Des propositions intéressantes émergent comme des formes de financement de soins de longue durée par capitalisation.

L'anticipation se situe également en amont du dilemme coût-recettes : l'investissement dans la prévention primaire. Accroître les mesures de prévention et de promotion de la santé permettraient de réduire la prévalence des maladies et de limiter les facteurs de risque. Les maladies psychiques, par exemple, pèsent fortement sur le système de santé : la détection précoce et la prévention constituent des leviers majeurs mais sous-exploités.
Seulement 1,8% des dépenses de santé étaient alloués à la prévention en 2023 : Cette structure reflète un système encore largement réactif plutôt que préventif.
Les technologies de diagnostic précoce (comme le séquençage ADN), les applications de suivi de santé, et les programmes personnalisés de prévention ouvrent de nouvelles perspectives, et pourraient représenter un potentiel d’économie de 30 milliards de francs à horizon 2040 (Deloitte, 2025). Ce marché de la longévité est en plein essor en Suisse et devrait peser 44 milliards de francs en 2030 (AMR).
Bien que le système soit robuste, grâce à un financement mixte, une mise à contribution des ménages et des règles de solvabilités strictes des caisses maladies, les défis qui sont à relever au cours des prochaines décennies pour garantir sa pérennité sont majeurs. Dans 30 ans, l'AOS existera toujours, mais probablement sous une forme bien différente : plus redistributive par un financement davantage indexé sur les revenus, plus limitée dans son périmètre et plus axées sur la prévention que la curation grâce à l’introduction de technologies nouvelles et un changement de paradigme vers une offre de santé plus préventive et moins réactive.
Sources :
santésuisse (2024). Politique de la santé : un état des lieux – Faits, chiffres et solutions. Kompass Gesundheit 2024, Édition française.Consulter le rapport (PDF)
Deloitte Suisse (2025). Health Insurance Switzerland: Premium Situation 2026.Consulter l'analyse
Deloitte Suisse (2025). Le vieillissement de la Suisse : solutions envisageables pour un système de santé résilient.Consulter l'étude
Brändle, T. & Colombier, C. (2022). Projections concernant l'évolution des dépenses de santé jusqu'en 2050 : vieillissement de la population et crise du coronavirus. Document de travail de l'Administration fédérale des finances n° 25, Berne.Consulter le document
Kaenel, M. (2023). Une mutualisation croissante des coûts de la santé. Avenir Suisse.Consulter l'article
Lerch, B., Colombier, C. & Brändle, T. (2025). Determinants of healthcare expenditure: Evidence from Switzerland between 1960-2022. Document de travail de l'Administration fédérale des finances n° 27, Berne.Consulter l'analyse (La Vie économique)
Stucki, M., Schärer, X., Trottmann, M., Scholz-Odermatt, S. & Wieser, S. (2023). What drives health care spending in Switzerland? Findings from a decomposition by disease, health service, sex, and age. BMC Health Services Research, 23(1), 1149.Consulter l'étude